Terre, une invitation au voyage

Sur les sentiers québécois, au pas de course

Hugo Blondel
Sur les sentiers québécois, au pas de course

Une course sauvage et engagée sur les sentiers de Charlevoix : c’est la promesse de l’Ultra-Trail Harricana du Canada. Inscrits cette année sur les distances 42 et 65 kilomètres, nos collaborateurs Jad Haddad et Océane Martinez nous embarquent à l’intérieur de cette épreuve, du départ à l’arrivée.

Jad Haddad, directeur de Terres d'Aventure Canada, participait à sa première course de grande envergure. Il s'est élancé sur la distance de 42 kilomètres avec un dénivelé positif de 1300 mètres :


"Toutes les courses, quelle que soit la distance (125, 80, 65, 42 km, ndlr), se connectent à un moment donné mais les lignes de départ sont différentes. On s'est levé très tôt, vers 3h30 du matin, pour aller prendre la navette jusqu'à la ligne de départ. À ce moment-là, tout est nouveau pour moi. La navette était un vieil autobus scolaire jaune comme dans les films américains. Sauf que je n'ai pas pris ce type de bus depuis que j'ai 17 ans. Je suis grand, je n'arrivais pas à m'asseoir correctement, ça rebondissait dans tous les sens ! Se rendre au départ était déjà assez drôle. Je me retrouve au milieu d'un peloton de 300 coureurs, en plein cœur d'une forêt. Face à l'inconnu qui m'attendait, l'attente du départ était assez stressante. Je n'avais jamais couru 42 kilomètres pendant mon entraînement, quelques longues distances mais pas autant.

Heureusement, je ne me suis pas effondré dès le début. Les premiers 15 kilomètres se sont très bien passés, jusqu'au premier ravitaillement. Mais par la suite, les sentiers sont vite devenus plus techniques, humides, avec beaucoup de boue. Plusieurs fois j'ai glissé... jusqu'à la chute. Les choses se sont compliquées : j'ai eu des crampes, des douleurs pendant une douzaine de kilomètres, du mal à courir. Arrivé à la moitié de course, tout était difficile, mais heureusement l'ambiance était géniale. Chaque personne qui me dépassait m'encourageait, et cela m'a vraiment aidé à continuer.

J'ai avancé difficilement jusqu'au dernier ravitaillement, où j'ai commencé à faire des calculs dans ma tête pour visualiser l'arrivée. Sur cette course, il y a un temps limite pour terminer. Si je continuais à ce rythme, je savais que je ne pourrais pas y arriver. Par je ne sais pas quel miracle, mes jambes ont retrouvé de l'énergie et j'ai réussi à boucler le parcours dans les temps. La course est un exercice assez solitaire. Pendant 8 heures il faut être à l'écoute de son corps, de sa respiration, se parler à soi-même. Plus on approche de la ligne d'arrivée, plus on perçoit la foule, des gens au bord des sentiers qui nous encouragent, on entend de la musique. Je n'avais pas visualisé ça pendant la course. C'était un grand moment de soulagement, de fierté et d'accomplissement.

Il y a deux ans je me suis déchiré un ligament dans le genou. J'ai eu de la rééducation pendant un an, et un retour au sport progressif. Pour moi, cette course était une manière de tourner la page. Mon objectif c'était de terminer. J'ai réussi. J'entame une nouvelle étape, et pour l'anecdote j'ai eu mal partout sauf au genou ! Je suis déjà inscrit au 65 kilomètres de l'UTHC l'année prochaine. Il y a quand même quelque chose de différent dans le trail. Mon expérience m'a amené à passer des heures sur des sentiers à guider les randonneurs, mais dans une course d'endurance c'est différent. J'y ai vraiment pris goût."

La boue présente en quantité lors de l'UTHC - ©RichardMcDonald

Océane Martinez, responsable de la communication de Terres d'Aventure Canada, s'élançait sur le format de 65 kilomètres et 1870 mètres de dénivelé positif. Auparavant elle avait déjà couru les 42 kilomètres en 2021 :

"C'était ma troisième course de ce type. La dernière en date remonte à juin avec une course de 50 kilomètres et 2 500 mètres de dénivelé positif... Honnêtement, c'était très dur. J'ai eu un bon classement, mais je me suis vraiment donnée : je n'ai pas pu marcher correctement pendant 3 jours?! Dans ma tête, sur la ligne de départ, je me suis dit qu'il allait falloir ajouter 15 kilomètres à la course de 50 que j'avais déjà faite ! Je n'étais pas sereine, j'avais juste hâte d'y aller. Je suis partie dans la première vague de départs, avec un objectif de moins de 9h30. Dans le lot il y avait des athlètes. À ce moment-là, je me suis dit : "maintenant que tu es là, il faut y aller à fond". L'enjeu c'est de ne pas partir trop vite, de ne pas se brûler, mais d'un autre côté, en s'économisant il devient impossible de rattraper ceux qui partent devant.

J'ai tout donné sur les 15/20 premiers kilomètres. Pendant la première moitié de course, j'étais parmi les 5 premières. Puis la fatigue est arrivée... Je me suis tordu les chevilles, j'ai commencé à avoir des appréhensions. Jad comme moi on s'entraîne sur de la route principalement. Charlevoix, c'est un endroit montagneux, très sauvage, les sentiers sont très simples, avec des racines partout, on ne croise pas une seule route ! Il avait beaucoup plu les jours précédents donc on s'enfonçait dans la boue. Le premier kilomètre on se dit : "je vais marcher sur les bords pour l'éviter" mais cela devient vite impossible. Par endroits on s'enfonçait jusqu'aux mollets. Un des coureurs devant moi a perdu sa chaussure dans la boue*.

Après 40 ou 50 kilomètres, je n'en pouvais plus. Psychologiquement rien que le fait de voir la boue cassait le rythme. Ce que j'ai adoré sur cette course, c'est qu'on a été une petite équipe à participer sur les différentes distances. Je me demandais en courant : "où en sont les autres ? Comment vont-ils ?". À un moment donné, j'ai doublé Quentin (coéquipier inscrit sur le 125 km, ndlr) : cela faisait 24 heures qu'il courait. J'allais m'arrêter pour marcher avec lui mais il m'a incitée à continuer parce que j'étais bien placée. Pendant, avant et après la course on ne fait que parler de ça. Il y a une effervescence. Les collègues de l'agence étaient là pour nous accueillir à l'arrivée. La course a lieu dans un endroit tellement reculé qu'il est interdit d'avoir du soutien pendant la course (hormis les ravitaillements). Il y a 400 bénévoles sur l'évènement et ils sont tous géniaux.

Sur la fin de course, j'étais assez bien au niveau de l'énergie. Je ne me suis pas poussée à bout. Dans ma tête, j'avais un objectif de 9h30 et au final j'ai réussi à terminer en 8h30. J'avais une bonne marge de manœuvre. Maintenant, j'ai envie de me fixer des challenges différents comme une course à étapes.

*Pour l'anecdote, la personne qui a perdu sa chaussure dans la boue s'est vu offrir une chaussure au ravitaillement suivant par un coureur qui venait d'abandonner, avec la même pointure.

Océane en course sur les sentiers de l'UTHC - ©RichardMcDonald

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