Terre, une invitation au voyage

Le Marathon Des Sables : 250 km dans le désert

Guillaume Cuenin
Le Marathon Des Sables : 250 km dans le désert

C’est l’une des épreuves les plus athlétiques au monde. Le Marathon des Sables et son cadre désertique exceptionnel se sont à nouveau offerts aux quelque 815 participants le 7 avril dernier.

Au coeur du Sahara sud-marocain, les valeureux ont vécu une semaine d'aventure, 6 étapes de course, 250 km et un challenge sportif inoubliable. Parmi eux, Guillaume Cuenin, concepteur de voyages et l'un des 44 coureurs de l'équipe Terres d'Aventure, nous raconte.

La préparation

Longtemps, je n'ai pas couru loin. Et puis, de course en course, le corps s'essaye à des distances toujours plus longues, à la recherche de nouvelles sensations. Longtemps, le Marathon des Sables m'est apparu comme une chimère insaisissable, une forteresse imprenable. Et puis, porté par l'engouement d'une inscription en équipe avec les copains de Terres d'Aventure, l'esprit se libère et accepte l'idée du dépassement de soi. Un projet un peu fou : parcourir 250 kilomètres en autonomie dans le désert marocain. Sans trop hésiter, je boucle mon inscription. L'appel de l'inconnu est trop fort. Comme une envie farouche de se fixer ses propres limites pour mieux les dépasser.

J-2. La réalisation du sac est un véritable travail d'orfèvre. Une course dans la course, une chasse aux grammes superflus. L'autonomie en nourriture et en matériel constitue la principale difficulté de l'épreuve. Courir 250 kilomètres dans un désert sous 40 degrés ne suffisait pas, il fallait y ajouter un sac de 10 kilos sur le dos ! Sac de couchage, matelas, pharmacie, nourriture déshydratée, vêtements, le portage de sa besace fait partie du charme de ce raid en auto suffisance. Son poids s'allègera au fur et à mesure des journées. Dans le même temps, mon entraînement se fait minutieux, dévalant les dédales de Paname avec mes compagnons, des pavés des berges de Seine à la butte Montmartre. Il faut avaler les kilomètres en amont si l'on ne veut pas les subir pendant une semaine. Arrivée à l'aéroport de Ouarzazate. Nous prenons immédiatement la direction du premier campement en bus. Le désert rocailleux qui nous entoure ne laisse que peu de chance à toute forme de vie de s'installer. Seules quelques oasis miraculeuses viennent perturber cet univers de fin du monde. Nous recevons les différentes consignes de course avant le grand départ. La pression monte d'un cran.

La belle foulée de Guillaume Cuenin, finisher du MDS. - ©Erik Sampers

Le départ

Arche dressée, enceinte branchée. Alors que Patrick Bauer est prêt à donner le top, la foule est galvanisée par ce défi fou. Plus de 50 nationalités différentes se sont donné rendez-vous sur la ligne de départ. Aux premières notes de Highway to Hell, mes poils se dressent, je suis prêt à conquérir ce désert. L'excitation est aussi forte que l'appréhension est palpable. Les riffs de guitare de AC/DC résonneront chaque jour dans notre tête. Curieux contraste avec le calme religieux du désert, que seuls le vent et nos foulées viendraient troubler. Les dunes à perte de vue sont d'une insolente pureté ; soufflées par le vent, elles contrastent avec la dureté des oueds et lacs asséchés. La civilisation semble loin dans cette immensité. Je goûte à l'instant présent. Ça et là, quelques villages traversés nous ramènent à la réalité des peuples du désert. Ce qui se passe est bien réel. Les enfants viennent encourager les coureurs, amusés devant tant d'agitation. Ils nourrissent l'espoir d'apercevoir le Marocain Rachid El-Morabity, sept fois vainqueur de l'épreuve et véritable fierté nationale. Dans ce désert hostile, rien n'est superficiel, seul l'essentiel compte. L'esprit se vide. Boire, manger, écouter son corps et les éléments qui nous entourent. Je cherche à ressentir la douleur pour mieux me sentir vivant. Se faire mal pour se faire du bien, drôle de paradoxe.

L’impressionnant bivouac de la course planté dans le djebel Zireg, avec les tentes berbères noires pour les coureurs et les tentes blanches pour l’organisation. - ©Erik Sampers

L'étape longue

La redoutable tant redoutée. 76 kilomètres à parcourir après trois jours harassants. Réveil matinal, après une nuit agitée, engoncés dans nos duvets. Les bras de Morphée n'étreignent jamais complètement les coureurs. Les muscles se rappellent aux efforts des précédentes journées. Le stress est palpable pour ce départ, il faudra dompter la douleur. Les heures passent. Le sablier du temps s'écoule grain par grain dans ce long désert écrasant de chaleur. Le soleil au zénith vient s'abattre sur mes tempes battantes. Notre moral peut vaciller à tout moment. Un sentiment d'étourdissement m'envahit parfois. Il faut gérer son approvisionnement en eau entre chaque ravitaillement. À la nuit tombée, les coureurs éclairent leurs lampions et illuminent la pénombre de leur frontale. Changement d'ambiance. Plus que quelques kilomètres avant de passer l'arche et ressentir ce soulagement tant attendu. La douceur de la nuit nous enveloppe, étoffant les songes de cette journée de labeur. Le ciel brille de mille feux. Les couleurs sont éblouissantes, changeantes, hypnotisantes. Le repos sera salvateur et mérité. Les premiers arriveront juste à la tombée de la nuit ; les derniers, naviguant sous les étoiles, finiront le lendemain. À chacun son rythme, à chacun son Marathon des Sables, entre course effrénée et longue randonnée dans le désert.

Une bonne gestion de l’eau est indispensable. Mérile Robert terminera 6e de cette édition. - ©Erik Sampers

La vie au camp

La légèreté qui règne sur le camp contraste avec les efforts de la journée. Elle est rythmée par les arrivées successives des participants. Dans un joyeux désordre, chacun organise son temps : chercher du bois pour le feu, traquer les petits cailloux sous la tente (fauteurs de troubles de nos nuits déjà mouvementées), ou encore laver tant bien que mal les affaires du jour. Faire et s'économiser à la fois ; nos réserves d'énergie sont précieuses. La flânerie constitue une activité à part entière. Il faut également soigner son corps, et notamment les pieds, mis à rude épreuve. Les ampoules sont le principal fléau de ce raid et la première cause d'abandon.

La vie au bivouac et la gestion des ampoules - ©Erik Sampers

Mais surtout, il est un rendez-vous que personne ne manquera : accueillir sous les applaudissements le dernier forçat du jour, exténué et en pleurs. L'émotion emporte tout le monde. Comme un immense élan de camaraderie où, tous, nous connaissons le goût de ce subtil mélange de douleur et fierté. Sous notre toile de tissu tenue par deux bouts de bois, ouverte sur l'horizon, chacun ira de son récit de course. La proximité tisse des liens inexorables, faisant fi de toute intimité, incitant au partage et à la discussion dans notre abri de fortune. Au coucher du soleil, le cours de tai-chi de maître Fa permet de détendre l'organisme très sollicité. Le cadre irréel est propice aux rêveries. À l'heure du facteur, les doux mots des proches viennent réchauffer les coeurs. Ce sera l'unique exception dans la déconnexion au monde extérieur. À l'heure du repas, le bal des gamelles vient réconforter les corps. Après une journée de dur labeur, même un aligot réhydraté constitue un met délicieux. L'appétit est trop fort. Et au petit matin, le même rituel du sac : faire, défaire et refaire. Chacun trouve sa propre organisation. Une rassurante monotonie avant de partir à l'assaut du désert.

La longue étape de 76,3 km a épuisé les organismes, et le lendemain il faudra encore courir un marathon de 42,2 km. Les straps servent de bouclier aux frottements incessants du sac à dos sur les épaules. - ©Erik Sampers

L'arrivée

Pour cette dernière course, les muscles sont endoloris, les pieds meurtris et l'allure traînante. Pourtant le corps est résilient, prêt à terminer ce Marathon des Sables par la traditionnelle épreuve des 42 kilomètres. Après plusieurs heures, enfin, j'aperçois au loin l'arche d'arrivée, pour la toute dernière fois. Plusieurs sentiments se mélangent dans ma tête, entre joie et nostalgie. La joie d'être arrivé au bout de mon effort, de ce défi. La nostalgie de devoir sortir de ma bulle. Toute l'équipe Terres d'Aventure s'attend sur la ligne d'arrivée et partage son bonheur, médaille au cou. Le Marathon des Sables tire sa révérence. Le livre se referme, la fin est belle. Chacun redescend de son nuage tout en essayant de prolonger dans sa tête cette aventure hors du temps. Une autre histoire reste à écrire. La route est encore longue. Mektoub !

La meute est lâchée - ©Erik Sampers

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