Terre, une invitation au voyage

Capturer l'indomptable

Michel d'Oultremont
Capturer l'indomptable

Photographe animalier, Michel d’Oultremont cultive l’art d’entrer en symbiose avec son environnement. Son but : se fondre dans la nature pour retranscrire au mieux l’ambiance animale, pure et instinctive.

Toujours rattachés à un lieu de vie, ses clichés placent la faune dans un biotope féérique et s'attardent sur une lumière, un mouvement, un regard pris sur le vif. Récit d'un travail d'équilibriste.

Tout a commencé en 2004, j'avais alors 12 ans. Avec un ami, nous avons construit une cabane qui surplombait une grande prairie. Nous avons tout de suite été attirés par la faune qui se mouvait sous nos pieds : lapins, mésanges, corneilles ou encore tourterelles s'agitaient devant nos yeux. Très vite, j'ai emprunté une vieille paire de jumelles à mon père pour observer d'un peu plus près ce monde sauvage. Ma passion pour les animaux est née comme ça, au détour d'une cabane. Elle a cependant rapidement grandi ! Quelques mois plus tard, je me suis acheté — avec tout mon argent de poche — une ancienne longue-vue et un trépied bancal pour scruter les oiseaux. Tous mes week-ends étaient identiques : réveil aux aurores, 6 kilomètres de vélo et observation de la nature jusqu'à la nuit tombée.

L'observation : c'est la clef. Observer encore et encore, les yeux rivés dans les jumelles au-delà du raisonnable.

Lors du Festival International Nature Namur de 2007, j'ai visionné un film qui s'intitule Les secrets des photographes animaliers et ce fut le déclic. Du haut de mes 15 ans, j'ai compris à cet instant précis que l'on pouvait photographier les animaux sauvages. Trois mois plus tard, je troquais ma longue-vue contre un appareil photo. C'est ainsi que l'aventure a commencé, il y a plus de 10 ans maintenant. Aujourd'hui, je suis photographe professionnel et je vis de ma passion.

La bonne photo

La photographie finale que l'on peut voir dans un livre ou une galerie d'art n'a duré en réalité qu'un millième de seconde ; avant le clic final se joue une longue et complexe attente. Pour réaliser une bonne photographie, il faut bien entendu la rencontre avec un animal sauvage, mais pas que ! Un superbe environnement et si possible une belle lumière aident grandement. Ces 3 facteurs réunis sont la clé d'une imagede qualité. Comme je ne maîtrise rien sur le terrain (ni lumière artificielle de type flash, ni appât pour attirer les animaux), cette quête prend du temps, énormément de temps.

Les véritables nomades de la toundra : les rennes sauvages. Il en reste une poignée en Norvège et ils parcourent des dizaines de kilomètres par jour

Au bon endroit

Lorsque je suis dans la nature, je passe une grande partie de mon temps à observer les animaux au travers de mes jumelles. Une connaissance pointue du terrain et beaucoup d'observations aident à comprendre leurs déplacements et leur mode de vie. Cela me permet aussi de savoir exactement où je dois les attendre pour espérer les photographier. C’est pour cela que, lorsque je quitte ma Belgique natale à la recherche d’espèces difficiles comme l’ours ou encore le boeuf musqué, je passe énormément de temps sur le terrain. Mes voyages durent en moyenne entre 15 jours et 1 mois. C’est le délai nécessaire pour comprendre les habitudes des animaux et se faire oublier de la nature. Je suis alors 24 heures sur 24 aux aguets, et je dors sur place en bivouac ou dans mon duvet. Pas d’hôtel ou de confort, je vis à la dure et c’est ainsi que je réussis le mieux. Je suis intimement convaincu qu’il faut une totale immersion pour que « LA » rencontre puisse avoir lieu. L’un de mes principaux mots d’ordre est de ne pas déranger ! C’est extrêmement important pour moi. Perturber une espèce sauvage est d’une grande tristesse.

L’homme fait déjà tellement de mal à la nature que, quand j’y pénètre, j’essaie de me faire le plus discret possible, quitte à ne pas prendre d’image. Ma philosophie repose sur la discrétion et le respect.

Au bon moment

Les animaux sauvages en Europe sont assez farouches et ont peur de l'homme, contrairement à ce que l'on peut voir dans les contrées reculées où ils sont beaucoup moins chassés. Il faut donc beaucoup de temps et de patience pour réaliser un bon cliché. Bien entendu, le coup de chance peut arriver en se baladant en forêt ou au bord d'un étang, mais le plus souvent il faut énormément de préparation pour réaliser une image de qualité. En Croatie, il m'est déjà arrivé d'attendre plus de 40 heures consécutives dans le même affût pour espérer photographier les ours. Un jour, je me trouvais dans un grand mirador en forêt (initialement prévu pour la chasse) qui surplombait une magnifique prairie fleurie. Mon plan initial était d'attendre que les ours s'approchent.

Face-à-face intense avec l'ours : sans un bruit, il me fixe, me juge, me regarde. Il me toise un long moment, à une vingtaine de mètres seulement de mon filet de camouflage.

Je me suis installé dans ce mirador vers 15 h et la longue attente a commencé. Jusqu'à 4 h du matin, je n'ai rien vu. Puis je me suis réveillé face à une forme au milieu de la prairie. Un grand ours était en train de se nourrir. Il s'est redressé sur ses pattes arrière et a regardé dans ma direction. Une dizaine de secondes plus tard, il est arrivé vers moi en courant. À ce moment-là, j'ai réfléchi à toute allure et je me suis dit « Très bien, je suis à 3 mètres au-dessus du sol, pas de panique, j'attends ». Ont suivi des bruits de grattement et une sorte de « poc ». J'ai pensé que l'ours devait se faire les griffes sur le mirador. D'un coup, la trappe au sol s'est ouverte. L'ours était là, à moins d'un mètre. Sa grande tête dépassait de l'ouverture. Puis tout s'est enchaîné. Il a donné une telle impulsion pour ouvrir la trappe que celle-ci avait rebondi contre le mur et était retombée sur sa tête. Il ne restait plus qu'une grosse patte à l'intérieur du mirador. L'ours était aussi surpris que moi, il a abandonné et est parti. Je suis resté durant 5 heures assis sur la trappe et je n'ai plus bougé d'un centimètre, tremblotant comme une feuille. Cette rencontre fut une véritable claque qui m'a rappelé à quel point la nature est plus forte que nous, les hommes. J'étais sur le territoire de l'ours, il avait tous les droits dans cette forêt. Je n'étais que de passage et j'étais sûrement vu comme un intrus.

Et beaucoup de questionnements

La peur est souvent là aussi, comme durant les tempêtes hivernales en Norvège ou Suède par exemple. Est-ce que la tente tiendra le coup ? Est-ce que je l'ai bien fixée à la glace ? Les animaux seront-ils toujours à la même place le lendemain ? Des questions, des doutes me traversent souvent l'esprit, surtout en étant seul. C'est naturel d'avoir peur face aux éléments et face à cette grandiose nature qui peut être terrifiante. Mais je prends ces questionnements comme de véritables encouragements. Durant mes voyages, je suis la plupart du temps seul. Je tente d'apprivoiser cette solitude, de la comprendre et de faire ami ami avec elle.

Le matériel sur le dos, les jumelles à la main. Les kilomètres s'enchaînent pour essayer de trouver un sujet intéressant. Patience, obstination et une grande part de rêverie sont nécessaires pour que tout cela se concrétise en une image.

Au début de mes aventures, j'ai toujours un peu de mal à y arriver. Les 3-4 premiers jours sont assez difficiles. Je les compare à une ligne qu’il faut franchir. Je dois parvenir à trouver un nouveau rythme de vie, à me détacher de ma vie « normale » pour me retrouver par mes propres moyens. Une fois ces premiers jours passés, la solitude est une alliée incroyable et tous mes sens se mettent en éveil. Le moindre craquement, le moindre son est plus facilement détectable quand on est isolé en forêt ou sur les plateaux norvégiens. Il s’agit en fin de compte d’apprivoiser le silence. J’aime dépasser mes limites, flirter avec le danger, me dépasser, me prouver que je suis capable de telle ou telle chose. C’est peut-être aussi dû en partie à l’insouciance de mon jeune âge. Pendant mes sorties, il y a bien entendu la photographie, mais aussi le bivouac, la gestion du froid en hiver (j’ai déjà été confronté à des températures allant jusqu’à -44 °C aux États-Unis), la gestion du matériel, de l’eau, de la nourriture et de la chaleur. Quand je rentre d’expédition, il me faut à nouveau un sas de quelques jours pour me réhabituer aux bruits de la civilisation. Ce retour « à la normale » est toujours assez complexe. Mais finalement, qu’est-ce qu’est la normalité ? Être en forêt, entouré par la nature, ou en ville entouré par les voitures ? La question se pose…

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