Terre, une invitation au voyage

3 questions à Laëtitia Hédouin

Estelle Abecassis
3 questions à Laëtitia Hédouin

Chargée de recherche au CNRS, spécialiste de la biologie et de la reproduction des coraux au CRIOBE (Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement) à Moorea, Laëtitia répond aujourd'hui à nos questions.

— Terres d'Aventure : Pourquoi vous intéressez-vous plus particulièrement aux récifs coralliens profonds ?

Laëtitia Hédouin : Quand on évoque les coraux, on ne parle que de ceux que l’on voit à la surface ou à de faibles profondeurs. Or on sait depuis une dizaine d’années que des coraux existent dans la zone mésophotique, une zone de 30 à 165 m faiblement éclairée. Il nous faut étudier le récif corallien dans sa globalité pour bien en comprendre les mécanismes, pas seulement jusqu’à 30 m. Cet écosystème profond semble un peu moins vulnérable face aux menaces anthropiques. Il fait office de nurserie pour de nombreuses espèces de poissons et pourrait bien constituer une zone refuge pour les larves du corail, et permettre le « réensemencement » des récifs coralliens plus proches de la surface. La zone mésophotique pourrait donc jouer un rôle important dans la résilience écologique des coraux. Mais on la connaît à peine car elle est très difficile d’accès pour les plongeurs à l’air.

— T.A : Une collaboration avec l'équipe d'Under The Pole III permettrait donc de mieux étudier cet écosystème ?

L.H : À l’occasion d’une expédition qui devrait durer trois ans de l’Arctique à l’Antarctique, l’équipe de Ghislain Bardout a voulu mettre son expertise de plongée profonde au service de projets scientifiques. Ils viennent de terminer une navigation à travers le passage du Nord-Ouest pour étudier la fluorescence naturelle, et leur voilier arrive en Polynésie française au mois de juin. À partir d’août 2018, pendant neuf mois, deux équipes de deux plongeurs en recycleurs vont s’immerger à différentes profondeurs jusqu’à 120 m sur 15 îles différentes réparties sur les cinq archipels de Polynésie française. Ils seront les yeux et les mains de deux scientifiques à bord du voilier qui les guideront grâce à un système de communication radio. Une fois qu’un ROV (robot sous-marin filoguidé) aura identifié une zone intéressante, les plongeurs s’immergeront avec des recycleurs pour photographier, collecter certaines espèces, déposeront des sondes pour mesurer la température, la lumière et même des micros pour enregistrer la signature acoustique du récif.

—T.A. : Qu'attendez-vous de cette étude ? De mieux étudier cet écosystème ?

L.H : Des Tuamotu jusqu’aux Australes, certains sites polynésiens ont perdu plus de 50% de leurs coraux suite aux El Nino des années 2016-17. Cette étude est l’une des pistes pour la résilience naturelle des récifs coralliens. Si ce rôle de zone refuge est avéré, on pourrait alors établir des cartes et à terme créer des aires marines protégées pour préserver l’écosystème mésophotique.

Retour