Terre, une invitation au voyage

Pérou, le génie de l'arbre

Sabah Rahmani et Jules Toulet
Pérou, le génie de l'arbre

Aux côtés de la fondation Amazonia Viva, Terres d'Aventure soutient la restauration et la préservation de 384000 hectares de forêt primaire en partenariat avec des petits producteurs de cacao dans la petite vallée de l'Alto Huayabamba.

Au nord-ouest du Pérou, dans la petite vallée de l'Alto Huayabamba, la cocaïne a laissé place à un virage écologique sans précédent. Autrefois sous le joug des narcotrafiquants, en proie à la déforestation massive et au changement climatique, la région s'est finalement convertie à l'agroforesterie. Élue réserve de biosphère par l'Unesco en 2016, la région a su revaloriser son patrimoine culturel et naturel, grâce au génie de l'arbre.

Patrouille de Gran Parajatén

Au coeur de la forêt primaire

L'un après l'autre, nos pas dansent au milieu d'une forêt qui chante. La cadence est soutenue et le souffle suspendu au fil d'une musique rythmée par le chant d'oiseaux, de grillons et de feuillages. Maestro (membre de la patrouille forestière qui surveille le parc naturel de Gran Parajatén au Pérou) ouvre le passage, maniant sa machette à l'instar d'une baguette de chef d'orchestre ! Le guide éclairé de la patrouille forestière connaît les moindres recoins du chemin qu'il fréquente depuis l'âge de 7ans. Après trois heures de montée sèche sous la forêt primaire amazonienne, agrippant lianes et branches, escaladant murets rocheux et chevauchant troncs géants sur le sol, nous atteignons le mirador de Pillico. Sur les contreforts de cette Amazonie péruvienne, là où les Andes plongent dans la forêt primaire, on découvre la vallée du fleuve de l'Alto Huayabamba qui serpente dans un océan de verdure. Magique... Dans la région de San Martin, cette zone de transition abrite une biodiversité exceptionnelle, à tel point que depuis 2016 la réserve Gran Pajatén a été choisie pour intégrer le réseau mondial des biosphères de l'Unesco, dédié à la conservation de la diversité biologique, la recherche et l'observation scientifique, et reconnu comme modèle de développement durable au service de l'humanité. La patrouille veille donc à ce que ce trésor perdure. Car si aujourd'hui la vallée est engagée dans la préservation de la forêt et la reforestation, alliée à une agriculture familiale biologique et équitable, l'histoire de la région n'a pas toujours été aussi idyllique. Haut lieu de violence et de production internationale de cocaïne dans les années 1980-90, puis laissée à l'abandon par l'État péruvien après les campagnes d'éradication des cultures de coca, elle a connu une renaissance à la fin des années 2000 grâce à des programmes de coopératives et d'associations valorisant la production du cacao et la plantation de millions d'arbres.Fredesvinda, activiste du cacao. Âgée d'environ 70 ans, elle a bien connu la période des narco-trafiquants. Elle possédait son propre laboratoire pour transformer la coca.« Avant on détruisait nos montagnes, on cultivait la coca dans la peur, on abattait les arbres, nos champs de maïs asséchaient nos rivières... On détruisait pour survivre. On ne se rendait compte de rien», se souvient Serfia Pinedo, une agricultrice de 75 ans toujours en activité. Dans sa parcelle familiale de la zone rurale de Huicongo, elle a désormais troqué sa peur contre une joie non dissimulée, en changeant totalement sa production. Svelte et dynamique, la septuagénaire péruvienne arpente ses champs au pas de course pour nous montrer ses cultures. « Ici tout est bio ! », lance-t-elle fièrement. Sur ses 20 hectares : 3 sont dédiés au cacao, 1 à l'agriculture familiale, 1 à l'exploitation de bois durable et 15 à la conservation forestière.

L'Agroforesterie comme modèle

Avec l'aide de la fondation péruvienne Amazonia Viva, soutenue par l'entreprise sociale française Pur Projet, Serfia a pu intégrer le programme d'agroforesterie et de reforestation. Depuis 2008, le déboisement de plus en plus massif et le défrichement des terres menaçaient toute la vallée au profit de zones de cultures, d'élevage et d'exploitation forestière, les paysans locaux étant à l'origine de 60% des dégâts. Pour stopper ce fléau, il fallait donc alerter et sensibiliser la population.

« Les projets de reforestation et d'agroforesterie permettent non seulement de lutter contre la déforestation, mais offrent aussi une meilleure rétention d'eau et une meilleure qualité de production de cacao, tout en améliorant les revenus des petits producteurs », assure Roldán Rojas, directeur d'Amazonia Viva. Pour bien pousser et donner le meilleur de ses fruits, le cacaotier - originaire de la forêt primaire – a en effet besoin de 35% d'ombre. « D'autant qu'en cas de très grosses pluies, le cacao a plus de chance d'être altéré s'il n'est pas protégé par des arbres, car les dérèglements climatiques ont un impact plus fort lorsque les écosystèmes sont dégradés », ajoute Tristan Leconte, fondateur de Pur Projet. Le modèle agroforestier qui consiste à associer une culture à la plantation d'arbres offre ainsi tous les avantages pour le maintien d'une agriculture durable et respectueuse de l'environnement.

« Aujourd'hui j'ai planté différentes espèces d'arbres sur 1 hectare. On a cheminé, évolué et désormais on y croit », confie celle qui a planté près de 500 arbres sur l'année 2015. « Après l'éradication de la coca, mes parents détruisaient des arbres immenses, gigantesques pour survivre et les revendre à des exploitants de bois exotiques. Aujourd'hui on replante tous ces arbres pour essayer de « récupérer » les pertes. Même si pour certaines espèces il faudra attendre plus de cinquante ans », ajoute Nilson Sangama, le fils de Serfia, qui avait quitté la région pendant plus de vingt ans pour fuir la violence des trafics, étudier et travailler à Lima, la capitale du Pérou.

Depuis deux ans, l'homme est revenu sur sa terre natale pour accompagner ses parents vieillissants dans l'exploitation familiale. À 42 ans, il a découvert avec étonnement l'efficacité de la reforestation : « Quand j'ai vu ma mère replanter les arbres, les changements étaient flagrants. Ils poussaient très vite, c'était fou! Les arbres étaient beaux ! » Au sommet d'une petite colline de la parcelle, Serfia nous montre quelques arbres plantés quatre mois auparavant qui ont déjà atteint plus de 1,50 mètre de hauteur ! Sa machette à la main, elle s'applique à désherber le sol autour des petits troncs pour favoriser leur croissance. « Planter ce n'est pas si facile, car cela demande beaucoup de travail et certaines espèces nécessitent beaucoup de soin», reconnaît Nilson, même si dans cet environnement équatorial certaines espèces locales poussent à une vitesse exceptionnelle. De 2008 à 2016, plus de 3 millions d'arbres ont été plantés par les producteurs, grâce à l'approvisionnement et à la rémunération pour chaque unité plantée (1 sol le plant, soit 0,26 €) par la fondation Amazonia Viva depuis 2012, et par Pur Projet de 2008 à 2012. Amazonia Viva accompagne aujourd'hui près de 3000 familles, soit plus de 9000 fermiers. « Avec l'arbre on s'est rendu compte qu'on pouvait doubler le revenu des petits producteurs en 7 à 10 ans. C'est un véritable miracle, et pas uniquement sur les gains mais aussi sur la qualité des sols, l'eau, la biodiversité et le climat! C'est toute la magie de l'arbre. Les fermiers plantent pour la nature et ensuite pour avoir un patrimoine. Car si auparavant ils investissaient dans les vaches – qui ont le pire impact environnemental – aujourd'hui avec l'agroforesterie ils investissent dans les arbres », explique avec enthousiasme Tristan Leconte.

Cabosse de cacao

Veiller sur la forêt primaire pour le climat

Dans cette volonté de remettre en lien l'homme et la nature, Terres d'Aventure et la fondation Amazonia Viva contribuent ainsi à lutter contre le changement climatique grâce à des programmes de reforestation, mais aussi de conservation des forêts qui s'appuient sur la méthodologie internationale REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation) lancée en 2008 par l'ONU. « Depuis des années j'ai remarqué des changements climatiques. Le temps est plus instable, les pluies sont plus variables et les saisons moins fortes qu'avant, constate Tercero Gonzalez More, un fermier de 55 ans. J'ai arrêté de déforester en 2010. » « S'il y a pu avoir quelques conflits avec les anciens exploitants forestiers au début du projet, maintenant il n'y a quasiment plus de fermiers qui détruisent les arbres. 23 anciens exploitants ont rejoint notre association pour participer à la conservation des arbres ! », souligne avec fierté Angel Farfan Beru, gérant de l'Aproboc (Association de protection des forêts communales de Dos de Mayo de l'Alto Huayabamba), membre de la fondation Amazonia Viva. En organisant des réunions de sensibilisation auprès des agriculteurs et des écoliers, puis en diffusant des émissions de radio locale, l'association a su mobiliser les villageois.

« Aujourd'hui plus de 80 % de la population locale a conscience de l'importance de la conservation », estime quant à lui Lino Paredes, adhérant à l'Aproboc. La réussite est telle que les agriculteurs membres de l'association sont devenus les gardiens de la forêt primaire qui jouxte la commune. De leur propre initiative, ils ont créé la concession de conservation El Breo, dont les 113 026 hectares de forêt protégée ont été intégrés à la réserve de biosphère par l'Unesco en 2016. Sachant que depuis 2014, les zones de conservation et de reforestation de la vallée avaient déjà été enregistrées au réseau international des forêts modèles.

Lever de soleil sur la vallée de l'Alto Huayabamba

Depuis 2011, les patrouilles forestières veillent sur cette richesse naturelle. Tous les trois mois, cinq membres de l'association quittent leurs cultures de cacao pour rejoindre le poste de contrôle construit plus haut sur les rives du fleuve, à deux heures de pirogue, au coeur de la forêt. En remontant les eaux de l'Alto Huayabamba la patrouille est toujours aux aguets... L'oeil acéré et averti du jeune Winston vient de repérer une anomalie dans les eaux vives. Des pêcheurs illégaux ont visiblement dynamité la zone pour prélever les poissons. Une technique écologiquement violente, puisqu'elle détruit toute la faune, même les plus petits organismes. Arrivée au poste de contrôle, la patrouille décide alors de se séparer, confiant à deux de ses membres la tâche de retrouver les responsables. « Lorsqu'on découvre une exploitation illégale sur le fleuve ou en forêt, on identifie les personnes et on prévient la police », explique Lino. Une fois le délit relevé, les coupables sont alors soumis à des amendes et à des condamnations de travaux communaux. Plongée dans la végétation primaire, la patrouille sillonne tous les jours un nouveau chemin en quête d'indices d'infractions. Ce jour-là, Maestro mène le groupe. Le plus expérimenté de l'équipe ouvre la voie d'un itinéraire qui n'a pas été contrôlé depuis trois mois. Après deux heures d'ascension raide, Maestro repère un piège sur les hauteurs d'un arbre. Véritable acrobate, il grimpe avec agilité à plus de trois mètres de hauteur pour le détruire. Suspendu dans les airs, il s'applique à donner des coups de machette sur la construction artisanale à base de branches. Le piège est récent. Heureusement, aucun animal n'a été victime de cette chasse illégale. Dans cette zone protégée, singes, ours, perroquets, jaguars, évoluent en toute discrétion pour échapper à la traque humaine. « On aime prendre soin de la forêt, mais les gens ne sont pas toujours conscients, ni sensibilisés à ce qu’ils font », regrette le jeune Antony, membre de la patrouille à 28 ans. « Pour protéger la nature, il faut l’aimer… », confie à son tour Eduardo, le sourire porté par la conviction profonde de son regard de quinquagénaire. Après une longue journée de vigilance à scruter les moindres traces d’anomalie, la patrouille se retrouve en soirée autour d’un feu de fraternité.

Francisco Alegria Ruiz et sa femme Nelsia Del Castillo sont deux producteurs de cacao du village de Santa Rosa. Ils sont fiers de vendre et d'exporter un produit bio, respectueux de l'environnement et renommé.

Tandis qu’à quelques mètres de là, des dizaines de lucioles forment une danse étoilée dans la forêt sombre… Dans quelques jours Roldan Rojas ira présenter les actions d’Amazonia Viva en Colombie. Le pays souhaite s’inspirer de l’initiative péruvienne pour la reproduire dans ses régions qui ont aussi connu le chaos de la drogue. Quelques mois auparavant, le directeur de la fondation s’était rendu au Honduras. La vallée attire désormais les regards internationaux, ébahis par cette initiative positive et complète. « On aime servir d’exemple pour que les autres viennent et puissent faire la même chose dans leur région. On échange et c’est plus harmonieux pour tous », renchérit Angel de l’Aproboc. Grâce à la valorisation du projet, les petits producteurs se sont aussi réappropriés une certaine estime d'eux-mêmes. Dans le village de Santa Rosa et de Pucalpillo, ils ont co-fondé une coopérative de chocolat qu’ils ont nommée Choba Choba, la révolution du cacao.

À Dos de Mayo, les membres de l’Aproboc ont quant à eux choisi de mettre en valeur leur mission sur tous les supports de l’association : « Nous prenons soin du poumon de l’humanité ». Dans ce récit écologique, la vallée a finalement réussi à transformer un enfer en paradis.

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